La surveillance des employés en entreprise est un sujet sensible qui soulève de nombreuses questions juridiques et éthiques.
Avec l'avènement des technologies de surveillance, les employeurs disposent désormais de nombreux moyens pour contrôler et surveiller les activités de leurs salariés.
Ces pratiques ne doivent pas empiéter sur les droits individuels et la vie privée des travailleurs.
Présentation ici de quelques principes fondamentaux qui doivent être respectés lors de la mise en place de mesures de contrôle technologiques en entreprise, ainsi que les différents types de contrôles et les sanctions en cas de violation de la vie privée.
Les principes préalables aux mesures de contrôle
Avant de mettre en place des mesures de contrôle technologiques, les employeurs doivent respecter certains principes fondamentaux afin de garantir que l'utilisation de ces moyens de contrôle soit légalement justifiée.
. La proportionnalité des mesures de contrôle
Selon l'article L. 1121-1 du Code du travail, les restrictions apportées aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.
L'employeur doit respecter une certaine proportionnalité dans les mesures de contrôle qu'il met en place.
Avant de commencer toute forme de surveillance, l'employeur doit identifier et justifier les raisons pour lesquelles il met en place un tel dispositif.
Par exemple, cela pourrait être justifié par des objectifs de sécurité dans l'entreprise ou de protection contre le vol.
. Le respect de la vie privée
L'article 9 du Code civil reconnaît à chacun le droit au respect de sa vie privée. Ce droit s'applique même lorsque le salarié est sous la subordination de l'employeur au sein de l'entreprise.
La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé dans un arrêt du 5 septembre 2017 que le respect de la vie privée s'applique également au cœur de l'entreprise.
Ainsi, le salarié a droit, même pendant son temps de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée.
Par conséquent, l'employeur ne peut pas surveiller le salarié pendant ses congés payés !
Les données personnelles et les principes du RGPD
Pour renforcer la protection de la vie privée et des libertés individuelles des salariés, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) est entré en vigueur en Europe le 25 mai 2018.
Le RGPD définit comme une donnée à caractère personnel "toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable".
Ainsi, ces informations ne peuvent être utilisées que si leur utilisation est conforme aux principes énoncés par le RGPD.
Parmi ces principes, on retrouve :
la nécessité d'informer les salariés sur les finalités de la collecte de leurs données, la base légale du traitement, l'identité du responsable du traitement, les destinataires des données, la durée de conservation des données, le droit d'opposition pour motif légitime, les droits d'accès et de rectification, ainsi que la possibilité d'introduire une réclamation auprès de la CNIL
. L'information et la consultation du CSE
Lors de la mise en place d'un dispositif de surveillance permettant le contrôle de l'activité des salariés, l'employeur doit informer et consulter préalablement le Comité Social et Economique (CSE).
Le CSE peut donner son avis sur la pertinence et la proportionnalité des moyens utilisés par rapport aux objectifs recherchés.
En cas de non-respect de cette obligation, l'employeur s'expose à la suspension de la mesure de surveillance, comme l'a confirmé un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 10 avril 2008 (n°06-45.741).
. L'information individuelle des salariés
L'employeur est également tenu d'informer individuellement les salariés sur la mise en place d'un dispositif de surveillance.
Selon l'article L1222-4 du Code du travail, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.
Les différents types de contrôles technologiques des travailleurs
Les employeurs disposent de nombreux moyens technologiques pour surveiller leurs salariés en entreprise :
. Les badges électroniques et la technologie biométrique
Les badges électroniques permettent de contrôler l'activité des salariés et les horaires de travail.
Ils peuvent être autorisés après information et consultation du CSE.
En ce qui concerne la technologie biométrique, l'employeur n'a pas besoin d'obtenir une autorisation préalable de la CNIL, mais il doit se conformer au RGPD et enregistrer le traitement biométrique dans le registre des traitements de l'entreprise.
> La biométrie : un outil en constante évolution dans les entreprises - Portail de l'IE 2021
L'utilisation de la technologie biométrique sans le consentement des personnes concernées est possible uniquement pour le contrôle d'accès à des locaux, des appareils ou des applications informatiques, à condition que cela soit strictement nécessaire et dûment justifié.
La CNIL a adopté le 10 janvier 2019 un règlement type relatif à la "biométrie sur les lieux de travail" qui précise les obligations des employeurs souhaitant utiliser la technologie biométrique.
Ce règlement a un caractère contraignant et doit être respecté par les entreprises.
Il autorise le recours à la biométrie uniquement pour le contrôle d'accès à des locaux spécifiquement identifiés par l'entreprise et pour le contrôle d'accès à des appareils et applications informatiques spécifiquement identifiés.
. La surveillance des adresses électroniques
L'employeur doit être attentif au respect de la vie privée des salariés lorsqu'il souhaite accéder aux documents, fichiers ou courriers électroniques d'un salarié.
Par défaut, ces documents sont considérés comme professionnels et l'employeur peut les consulter même en l'absence du salarié, comme l'a confirmé un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 15 décembre 2010 (n°08-42.486).
Cependant, le respect de la vie privée est consacré à l'article 9 du Code civil, notamment en ce qui concerne le secret des correspondances.
La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé dans un arrêt du 5 septembre 2017 que le respect de la vie privée s'applique également au secret des correspondances.
Ainsi, les salariés ont droit, même au travail, au respect de leur vie privée et au secret de leurs correspondances privées. Un employeur ne peut pas consulter librement les courriers électroniques privés de ses salariés, même s'il a interdit l'utilisation des outils de l'entreprise à des fins personnelles.
Cependant, pour bénéficier d'une protection, les messages personnels doivent être clairement identifiés comme tels.
Par exemple, le salarié peut préciser dans l'objet du courrier électronique "Personnel" ou "Privé", comme l'a confirmé un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 2 octobre 2001 (n°99-42.942).
Si le contenu du message relève de la vie privée du salarié, l'employeur ne peut pas l'utiliser comme motif de sanction, comme l'a confirmé un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 5 juillet 2011 (n°10-17.284).
. Les dispositifs de vidéosurveillance
L'employeur a le droit de contrôler et de surveiller ses salariés à l'aide de dispositifs de vidéosurveillance, mais uniquement dans le cadre du contrôle de leur activité et à condition de les avoir informés préalablement.
La chambre sociale de la Cour de cassation a statué dans un arrêt "Neocel" du 20 novembre 1991 (n°88-43120) que l'employeur est autorisé à mettre en place un système de vidéosurveillance permettant le contrôle de ses salariés, à condition de respecter certaines conditions préalables :
le respect des libertés individuelles et de la vie privée des salariés, la consultation des représentants du personnel, l'information des salariés et le droit d'accès aux enregistrements visuels les concernant.
> CNIL - La vidéosurveillance – vidéoprotection au travail
. Les systèmes de géolocalisation
La géolocalisation des véhicules utilisés par les salariés est une pratique de plus en plus courante en entreprise.
Avant de mettre en place un dispositif de géolocalisation, l'employeur doit informer les salariés et consulter le CSE.
La géolocalisation ne peut être mise en place que si elle est justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché, conformément à l'article L1121-1 du Code du travail.
L'utilisation d'un système de géolocalisation pour contrôler la durée du travail n'est licite que si ce contrôle ne peut pas être effectué par un autre moyen moins intrusif que la géolocalisation.
De plus, la géolocalisation est interdite pour les salariés bénéficiant d'une liberté dans l'organisation de leur travail.
. Le contrôle d'Internet
L'employeur peut contrôler et limiter l'utilisation d'Internet par ses salariés, notamment en utilisant des dispositifs de filtrage de sites.
Les connexions établies sur des sites Internet pendant le temps de travail grâce à l'outil informatique mis à disposition par l'employeur sont présumées avoir un caractère professionnel.
Ainsi, l'employeur peut les rechercher et les identifier, même en l'absence du salarié.
Cependant, l'utilisation d'Internet à des fins non professionnelles doit rester raisonnable et ne pas affecter la sécurité des réseaux ou la productivité de l'entreprise.
Dans un arrêt du 18 mars 2009 (n°07-44247), la Cour de cassation a jugé qu'un usage excessif d'Internet à des fins non professionnelles, avec une durée totale de connexion de 41 heures pendant le seul mois de décembre, constituait une faute grave du salarié rendant impossible son maintien provisoire dans l'entreprise.
Les sanctions en cas de violation de la vie privée
La violation de la vie privée des salariés est un délit puni par la loi.
Selon l'article L226-1 du Code pénal, le fait de porter volontairement atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, en captant, en enregistrant ou en transmettant des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel sans le consentement de leur auteur, est passible d'un an d'emprisonnement et de 45 000€ d'amende.
Les preuves obtenues de manière illicite ou en violation des réglementations en vigueur ne seront pas considérées comme valables et pourront être rejetées.
De plus, un licenciement disciplinaire basé sur des preuves obtenues de manière illicite est considéré comme sans cause réelle et sérieuse.
Un exemple récent de violation de la vie privée des salariés est l'affaire Ikea, qui a été renvoyée devant un tribunal correctionnel en avril 2020. L'entreprise est accusée d'avoir collecté illégalement des données personnelles sur ses salariés.
Cette affaire met en évidence l'importance de respecter les règles en matière de protection de la vie privée des travailleurs et les conséquences juridiques qui peuvent découler d'une violation de ces règles.
En quelques mots
La surveillance technologique en entreprise est un sujet complexe qui nécessite un équilibre entre les intérêts légitimes de l'employeur et le respect des droits individuels des salariés.
Les employeurs doivent respecter les principes de proportionnalité, de respect de la vie privée et de protection des données personnelles lors de la mise en place de mesures de contrôle technologiques.
En cas de violation de la vie privée, des sanctions peuvent être infligées, tant sur le plan pénal que sur le plan disciplinaire.
Il est recommandé pour les employeurs de se conformer à la législation en vigueur et de mettre en place des mesures de contrôle technologiques respectueuses des droits des salariés.